Augmentation du CO2
atmosphérique : quel impact sur l'alimentation ?
Une étude d'envergure menée
par plusieurs institutions de renom, issues de 4 pays différents (Etats-Unis,
Australie, Israël et Japon) vient de confirmer une conséquence pressentie de l'augmentation
de la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère :
la baisse des qualités nutritionnelles de certaines céréales et légumineuses.
Les résultats sont présentés dans la revue Nature. Mauvaise nouvelle pour les
générations futures : au vu de l'augmentation prévisible des niveaux de CO2
au cours du siècle à venir, certaines céréales et légumineuses
deviendront beaucoup moins nutritives qu'elles ne le sont aujourd'hui.
L'Université d'Harvard, l'UC Davis, l'Université d'Illinois à Urbana Champaign,
l'Université de Pennsylvanie l'Université d'Arizona, l'USDA et le Nature
Conservancy ont contribué à l'analyse pour les Etats-Unis. L'expérimentation en
plein air confirme les résultats antérieurs obtenus en milieux confinés Les
chercheurs ont examiné plusieurs variétés de blé, de soja, de petits pois, de
riz, de maïs et de sorgho en plein air, dans les conditions de culture de 2050,
telles qu'elles sont anticipées concernant les niveaux de CO2 dans l'atmosphère
(les concentrations actuelles ont atteint 400 parties par million, et devraient
s'élever à 550 ppm en 2050). Les équipes ont pu simuler des niveaux de CO2
élevés dans des champs en plein air, à l'aide d'un système appelé Free Air
Concentration Enrichment (FACE), qui diffuse du CO2 autour de l'essai, en
surveille la concentration à l'aide de capteurs au niveau des plantes et ajuste
ainsi le débit de diffusion pour simuler une concentration de CO2 atmosphérique
semblable aux conditions futures. Dans cette étude, l'ensemble des autres conditions
de croissance (lumière, sol, eau, température) sont les mêmes pour les plantes
cultivées sous atmosphère enrichie en CO2 et celles utilisés comme témoins. La
présente étude, par son envergure, a permis de décupler la quantité de données
auparavant existantes, concernant la teneur en zinc et en fer des parties
comestibles des plantes cultivées dans des conditions de FACE. Le zinc et le
fer ont diminué de manière significative dans le blé, le riz, les pois et le
soja étudiés. Le blé et le riz subissent également des baisses notables de leur
teneur en protéines en présence de concentrations élevées en CO2. Les
mécanismes responsables des variations de concentrations en éléments minéraux
dans les grains en fonction de la teneur en CO2 dans l'atmosphère sont peu
connus, et les expériences entreprises jusqu'ici semblent indiquer que les
paramètres impliqués sont multifactoriels et propres à chaque espèce. Le type
de photosynthèse, processus bioénergétique à l'aide duquel les plantes, les
algues et certaines bactéries produisent l'énergie nécessaire à la synthèse des
éléments organiques grâce à la lumière du soleil et à des composés minéraux (en
particulier CO2 et H2O), semble néanmoins impliqué. Réactions différentes en
fonction du type de photosynthèse En effet, seules les plantes en C3 étudiées
sont sensiblement affectées par l'augmentation du CO2 atmosphérique, par
opposition aux plantes en C4. Le maïs et le sorgho, qui font partie de cette
dernière catégorie, n'ont pas réagi de la même façon, conformément à ce qui
était attendu : la photosynthèse réalisée par les plantes en C4 ne fait pas
appel aux mêmes mécanismes cellulaires. Ces deux types de photosynthèse sont
majoritairement présents dans le monde végétal : le mode de fixation du dioxyde
de carbone diffère et est plus efficace pour les plantes en C4 dans les bonnes
conditions. Le nom des processus provient des molécules impliquées : dans le
premier cas, la molécule à l'origine des réactions de fixation du carbone
contient 3 atomes de carbones (3-phosphoglycérate), contre 4 (oxaloacétate)
dans le second. Largement sous-représentées (environ 5% du règne végétal), les
plantes en C4 réagissent différemment à l'augmentation du CO2 atmosphérique :
des travaux antérieurs réalisés à l'Université de l'Illinois à Urbana
Champaign[1] ont démontré que la photosynthèse de type C4 n'est pas affectée
par la présence d'une atmosphère à haute concentration de CO2. Ces plantes
concentrant en effet naturellement le dioxyde de carbone dans leurs feuilles,
la photosynthèse est déjà saturée en CO2 dans les conditions actuelles. Une
augmentation du CO2 atmosphérique n'a donc pas d'effet sur le processus
photosynthétique. L'hypothèse de base était donc que la concentration en
éléments nutritifs dans les grains des plantes en C4 demeure relativement
stable, ce qu'a confirmé l'étude. Cela représente un intérêt particulier pour
le sorgho, le maïs et la canne à sucre, par exemple. Ces plantes sont
majoritairement cultivées dans les pays en développement et plus de recherche
est nécessaire pour déterminer comment les cultures des régions chaudes
répondront à un taux de CO2 atmosphérique élevé, au vu des conséquences que
cela pourrait avoir. Les carences en fer et en zinc constituent déjà un
problème global à résoudre Ces résultats alertent les organisations
internationales : les carences en fer et en zinc sont déjà actuellement un
problème majeur de santé publique, concernant près de 2 milliards de personnes,
et ce jusque dans les pays développés. L'Organisation Mondiale de la Santé estime
que les carences en fer représentent le problème nutritionnel le plus répandu
dans le monde[2], alors que les carences en zinc, très répandues également,
impliquent des conséquences lourdes sur la croissance et le développement des
enfants et la santé des adultes. Et si les effets de l'anémie sont connus, une
alimentation carencée en zinc a également un impact important sur la santé, en
induisant un risque accru d'infections gastro-intestinales, en provoquant des
troubles gastro-intestinaux et en perturbant le système immunitaire et la
fertilité [3]. Une diminution de la qualité nutritionnelle des aliments
disponibles aujourd'hui, déjà souvent en quantité insuffisante dans leur état
actuel, pourrait donc avoir des conséquences importantes sur l'alimentation des
populations des pays en voie de développement. Les projecteurs s'orientent vers
les régions chaudes grâce à la meilleure adaptation des plantes en C4 à ces
climats. Il est probable que les recherches se concentreront dans ce sens dans
les années à venir : collecter des données relatives aux climats tropicaux avec
les sols tropicaux, qui manquent aujourd'hui, constitue une priorité, pour
tenter de compenser le phénomène d'appauvrissement de la qualité nutritionnelle
des plantes et légumes en C3, étant donné que c'est dans ces régions que la
sécurité alimentaire représente encore le plus gros défi.
Notes :
Photosynthesis, productivity, and
yield of maize are not affected by open-air elevation of CO2 concentration in
the absence of drought - Andrew D.B. Leakey, Martin Uribelarrea, Elizabeth A.
Ainsworth, Shawna L. Naidu, Alistair Rogers, Donald R. Ort, and Stephen P. Long
- Various institions – 2006
Supplémentation en fer pour les
enfants des régions d'endémie palustre - Bibliothèque électronique de données
factuelles pour les interventions nutritionnelles (eLENA) - OMS - 2012
Supplémentation en zinc dans la
prise en charge de la diarrhée - Bibliothèque électronique de données
factuelles pour les interventions nutritionnelles (eLENA) - OMS - 2012
Référence :
Increasing CO2 threatens human
nutrition - Samuel S. Myers, Antonella Zanobetti, Itai Kloog, Peter Huybers,
Andrew D. B. Leakey, Arnold J. Bloom, Eli Carlisle, Lee H. Dietterich, Glenn
Fitzgerald, Toshihiro Hasegawa, N. Michele Holbrook, Randall L. Nelson, Michael
J. Ottman, Victor Raboy, Hidemitsu Sakai, Karla A. Sartor, Joel Schwartz, Saman
Seneweera, Michael Tausz & Yasuhiro Usui - Nature - Mai 2014